Je crois que je n'ai pas envie de grandir.

Je les vois évoluer, avancer. Et moi, qui reste muette, fixée au point zéro, les regardant avec envie. Goûter à la vie étudiante, à la liberté, à l'indépendance. Dans leur appart', dans leur 106.
Je suis bloquée. Je ne sais pas quelle est la nature de cet obstacle infranchissable. Mes pieds sont-ils cloués ? Un mur invisible se dresse-t-il devant moi ?
Ma tête me crie d'ignorer. De continuer mon chemin, même s'il s'avère bien plus long que tout le monde. Mais c'est tout mon corps qui réclame l'évolution, le changement. J'essaye de tasser les mots, de plus en plus minuscules et ridicules, à la fin de ma page, en dessous des lignes... Et j'ai peur qu'un jour, il n'y ai plus de place, que les mots s'emmêlent, que tout devienne brouillon, mais que la page ne daigne pas pour autant se tourner...

Je me retournais. Aïe, je n'aurais pas dû. Il était cruellement difficile de m'enfuir après avoir vu ce corps désuni et après avoir senti ce souffle irrégulier et affolé s'accrocher à mes cheveux. Sa peau blafarde me paraissait si fragile. Comme du cristal que mes mains maladroites risquaient à tout moment de briser. Voilà d'ailleurs pourquoi je partais. Pour protéger cette beauté indescriptible et ce visage aux contours si parfaits.

De mes yeux insoucieux et ignorants, je découvrais que la vie, c'était ça. Voler le sourire de ceux qui sont plus faibles, trahir dans l'ombre, se faire du blé sur le dos des démunis. Et tout ça en jouant les hypocrites et en lâchant des phrases comme "L'argent ne fait pas le bonheur", un cigare Trinidad à la main et des chaussures Victor&Rolf aux pieds. Heureusement, on ne sait pas encore voler les pensées et les croyances des gens, même si on peut les interdire.

Je ne peux pas dire qu'écrire soit un besoin vital désormais. Avant, ça l'était. Pour combler mes maux. Pour me réconforter. Et surtout pour ne pas exploser à la vue de tous. Ma bouche a toujours refusé de s'ouvrir pour ce qui concerne certaines chutes de mon adolescence. En revanche, ma main défilait sur le clavier, sans que je puisse réellement la contrôler. Maintenant, écrire est plus un besoin existentiel. Me montrer que je suis là, que j'ai toujours mes idées, mes croyances, mes principes. Que je suis capable de réaliser, de créer, de construire. Que la vie, au fur et à mesure que j'avance à pas lents, ne me rend ni fataliste ni pessimiste. C'est triste de se dire qu'on a besoin d'un support pour prouver qui on est, pour se prouver à sois même qu'on est quelqu'un. Mais je l'ai toujours accepté.

Qui peut s'dire que ça a du bon, de tourner en rond...